samedi 9 novembre 2024

Le Name and Shame municipal cela existe : à bon entendeur

Décriés, critiqués, attaqués, parfois agressés physiquement, les exécutifs des collectivités locales, soumis à de fortes pressions, pourraient bien finir par rendre coup pour coup. Contre le "bashing" des élus, face à des flots de "fake news", pour ne pas dire à des crachats de haine, les maires en particulier, parce qu'ils sont très informés des agissements de certains administrés, pourraient utiliser internet et le discrédit local pour obtenir que les langues mal pendues se fassent plus discrètes, ou, quand le Name and Shame contre les autorités peut faire boomerang.


Il n'est pas anormal que des groupes de pressions, politiques ou apolitiques, utilisent des moyens d'alerte pour faire pression sur les décisions publiques. C'est même en soi une très bonne chose. Cela se développe beaucoup au niveau national, parce que les puissants sont plus difficiles à atteindre. Mais au fond, au niveau local, la même chose existe.

Comme beaucoup d'autres maires, j'ai reçu mon lot de lettres de critiques, de menaces et d'injures. Je garde les traces de tout. Vous seriez surpris de ce qu'osent écrire certaines personnes qui semblent bien insérées. Je n'engage pas de procédures contre mes administrés, hormis l'un d'entre eux une fois qui alla trop loin, l'alcool n'excuse pas tout. Au passage, cette addiction contribue probablement à ce que la quasi totalité des dérapages provienne des messieurs. Un maire en fonction depuis longtemps en connaît très long sur une partie de ses habitants. Ce n'est pas que tout se paie, mais parfois, il peut présenter la facture, sans passer par la justice. C'est ce que permet le Name and Shame, pratique venue de la culture anglo-saxone qui consiste à penser qu'il ne faut pas tout attendre de l'Etat et qu'on peut être plus efficace sans passer par lui. Le « Name and Shame », littéralement « nommer et faire honte », consiste à exposer au grand public, via les médias notamment, les mauvaises pratiques d’une personne, souvent une entreprise, a fait des émules en France. Dès 2012, le Name and Shame fut annoncé ou revendiqué par plusieurs membres du gouvernement. Après la publication, en 2015, par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, de la liste des entreprises qui ne payaient pas leurs fournisseurs dans les délais, le président Macron a souligné ses mérites pour identifier les opérateurs qui jouent le jeu et ceux qui ne le jouent pas. Dernière initiative gouvernementale dans cet esprit : en mars 2024, une Ministre a annoncé que l'Etat publierait les noms des communes de plus de 3 500 habitants qui ne respectent pas les délais de paiement aux entreprises, car c’est un « enjeu majeur »  pour l'économie.

Ainsi au niveau municipal, le mouvement s'amorce. On voit des reportages sur des maires qui font déposer chez des habitants des poubelles retrouvées dans des dépôts sauvages ! On voit certains élus désigner des immeubles à problèmes, et même prendre des décisions spectaculaires pour alerter sur des zones de non droit. D'autres promettent de cibler certaines familles, afin de leur "supprimer des aides municipales", annonce très symbolique étant donnée que la compétence sociale est presque exclusivement départementale... Peu importe, on voit bien que le but est de jeter la honte sur ceux qui nuisent à la paix sociale en troublant l'ordre public et la légalité.

J'ai décidé à mon tour d'entrer dans cette démarche, en faisant savoir au conseil municipal et à l'audience locale les mauvais comportements de quelques administrés, des entreprises s'il y a lieu mais, surtout des administrés.

Précisons que les mis aux piloris peuvent exercer un droit de réponse, ou agir en diffamation et revendiquer un abus de la liberté d’expression. Mais les conditions sont strictes ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation en mai 2022 dans le contexte de la libération de la parole des femmes en matière d’infractions sexuelles. Ainsi, en matière de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s’est exprimé dans un but légitime, était dénué d’animosité personnelle, s’est appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l’expression, de rechercher si les propos s’inscrivent dans un débat d’intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.

Lorsque des noms sont rendus publics, c'est qu'il existe des présomptions fortes et même des preuves écrites des faits rapportés. Le but étant d'obtenir un changement d'attitude de la part des personnes, j'appliquerai pour principe que la stigmatisation sera de courte durée, quelques jours suffisent. De ce fait, les désignés auront la possibilité, soit d'amplifier l'écho de leur turpitude en entrant dans un débat juridique avec moi, soit au contraire de changer d'attitude pour s'assurer qu'on pense qu'ils ne seront pas repris en indélicatesse.


Le cas des mauvais payeurs

C'est sans doute la situation la plus concevable, car le but est assurément d'intérêt général. Dans un contexte ou les astuces pour échapper aux créanciers sont pléthores, les procédures juridiques de poursuites sont  décevantes et les moyens humains pour les mener sont de plus en plus restreints.

Certains, rares administrés, ne payent jamais leur facture de cantine, sauf à la toute fin de l'année scolaire quand la menace apparaît de ne pas pouvoir réinscrire les enfants pour la nouvelle année. D'autres, oublient de payer une taxe d'aménagement pour un permis de construire. Il n'est pas rare qu'il s'agisse de personnes assez aisées. Or, après quelques mois d'incapacité pour le Trésor Public à aboutir au paiement, la procédure est demandée au conseil municipal de bien vouloir acter "l'admission en non valeur pour créance irrécouvrable". He bien, sachez que désormais, à chaque fois que cela survient, je demande aux élus de rejeter la demande du Trésor Public, je donne les noms des resquilleurs aux membres du conseil, et je leur explique que je connais suffisamment la situation patrimoniale réelle des personnes. La position adoptée est fondée sur des documents  et des situations attestées, vérifiables. 


Le cas des mauvais parents

A ce sujet, beaucoup est dit et vécu au quotidien partout en France, car le phénomène n'est pas nouveau. Mais, il faut rester très prudent car les enjeux sont autrement plus graves que dans les autres cas. Il n'y a pas besoin de développer aujourd'hui.


Le cas des mauvais citoyens

C'est assez agaçant, surtout dans le domaine des dépôts sauvages ou d'autres nuisances de voisinages, de non entretien de parcelles ou d'immeubles. Ces incivilités font l'objet d'identification des auteurs et de courriers d'admonestation. Des procédures sont lancées mais elles sont longues et complexes. Dans une minorité de cas, les responsables sont incapables de payer des amendes. Pour les autres, ceux qui y mettent trop de mauvaise volonté, nous pouvons utiliser des témoignages, des rapports de police, ils peuvent être nommés... 


Les haineux en tout genre

Le phénomène s'est amplifié avec Internet, la haine se déverse. Sur les réseaux, par des mails, on se sent fort derrière un écran. Les gens ne se rendent pas compte qu'en agressant des élus, des fonctionnaires, même verbalement, même à distance, cela peut se retourner contre eux. Nous pouvons remonter jusqu'à leur employeur et dire ce que nous constatons du comportement incivique de leur salarié. Lorsqu'une entreprise reçoit ce genre d'information, ça peut faire des tâches sur le CV. 


Le cas des élus virulents

Les élus sont souvent victimes de dénigrements et peuvent se défendre. S'ils jouent en position d'attaquant, de par la jurisprudence ils sont moins protégés. On entend par là le fait que toute personne qui entre dans la vie publique, même modestement, en intégrant une arène politique locale, en participant à des campagnes électorales, doit accepter de devenir une cible, dans la mesure du raisonnable. Cela vaut pour le responsable politique, comme pour les opposants, qui, plus ils sont actifs, plus ils s'exposent au retour de bâton. 

C'est la Cour européenne des droit de l'homme qui fait référence pour ces règles :

La liberté d'expression est protégée par l'art. 10 de la convention européenne des droits de l'homme. Condamnation en France d'un intéressé qui s’opposait à des projets immobiliers décidés par un maire pour avoir publié des propos très critiques et injurieux ("menteur cynique"). que les propos litigieux trouvent leur place dans un débat d’intérêt général et relèvent de l’expression politique et militante. que l'on se trouve dans un cas où, selon la cour, l’article 10 exige un niveau élevé de protection du droit à la liberté d’expression. les propos en cause tiennent davantage des jugements de valeur que des déclarations de fait (§§34 à 37). Cette distinction est importante car si la matérialité des déclarations de fait peut se prouver, il n'en est pas de même des jugements de valeur. La cour n'a donc pas le même degré d'exigence dans les deux cas. En l'espèce, elle estime que les propos malgré leur véhémence n'étaient pas dépourvus de base factuelle, ne pouvant être dissociés de la critique relative à un cumul d'emplois (§38). Elle absout la « virulence certaine » des propos litigieux et contrairement à la cour d'appel juge qu'ils ne débordent pas les limites de la libre critique politique (§§ 39-40). Elle admet comme un état de fait que dans ce domaine, l’invective politique déborde souvent sur le plan personnel et que ce sont là des aléas du jeu politique et du libre débat d’idées, garantes d’une société démocratique. Elle rappelle aussi la nécessité pour les élus de faire preuve d’une tolérance particulière quant aux critiques dont ils font l’objet, en particulier lorsque le débat porte sur un sujet émotionnel tel que le cadre de vie des riverains d’un projet immobilier (§ 40). La Cour souligne de plus que si les propos du requérant ne s'inscrivent pas dans le cadre de la liberté d’expression d’un membre de l’opposition, ils relèvent de l’expression de l’organe représentant d’une association portant les revendications émises par ses membres sur un sujet d’intérêt général dans le cadre de la mise en cause d’une politique municipale et que le requérant engagé dans la vie politique locale, et ultérieurement élu, s’inscrivait dans une démarche d’opposition politique

(CEDH, 25 février 2010, Renaud c/France)

Nous pourrions aussi parler de l'exemplarité comportementale des élus par ailleurs. Lorsque certains ne respectent pas la loi, ils s'exposent à se faire tacler plus qu'un citoyen ordinaire, car alors l'exploitation politique de ce fait sera admise par la jurisprudence.

Voilà des jurisprudences qui fonctionnent dans les deux sens, élus aux commandes ou opposants, et qui permettent la pratique du Name and Shame local.


Sébastien GOUHIER


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