Depuis quelques semaines, l'association des maires de France multiplie les actions de communication contre l'austérité imposée par le Gouvernement aux communes. Une motion de colère a été proposée au vote des 36600 communes et aux 2000 communautés. Une manifestation devant chaque préfecture est rappelée presque quotidiennement au bon souvenir des boîtes mails des mairies, et une grande manifestation est prévue le 19 septembre à Paris. Je m'explique longuement ici parce que cela fait deux fois en deux jours que les gendarmes me téléphonent pour me demander si je vais manifester le 14 juillet à la Préfecture... Si mon blog est assez lu par des journalistes et des autorités publiques, je n'aurais pas de troisième appel. En résumé, selon moi, si la colère des maires est compréhensible, un tel mouvement est toutefois disproportionné dans le contexte d'une économie européenne et française mal en point.
Les motifs de désarroi des élus communaux sont multiples, et c'est certainement leur effet cumulé qui explique un tel mouvement. L'augmentation des charges est très sensible :
I réduction des services de l'Etat qui se décharge sur les communes
-fin de la gratuité de la mise à disposition des services de l'Etat dans le domaine de l'urbanisme : suppression des services d'instruction des autorisations d'urbanisme pour la plupart des communes, et toutes les communes d'ici deux ans, alors qu'on observe une multiplication des études environnementales couteuses, des recours contentieux et contestations mal intentionnés sur toute sorte de projets d'aménagement;
- obligation de recruter pour de nouvelles prestations : activités périscolaires suite au raccourcissement de la journée de classe, titres d'identité biométriques pour les communes chefs-lieux qui deviennent les guichets de proximité de l'Etat à la place des sous-préfectures et.
-réduction des forces de l'ordre disponibles alors que la délinquance gagne les campagnes : implique le recrutement de policiers municipaux ou d'agents de surveillance et de prévention
- réduction des effectifs des agents du Trésor public au niveau local venant en appui des collectivités : les impayés non recouvrés aux comptes des communes augmentent;
- augmentation des coûts de gestion du personnel : augmentations nationales des salaires et des prestations sociales, multiplication des obligations de prévention des risques au travail, risques physiques et risques psychosociaux.
II baisse des dotations de l'Etat à l'ensemble des collectivités publiques, la plupart perdent peu
Je n'ai pas besoin de l'exposer, car tous les médias en parlent... L'effet est important, mais il est très souvent exagéré par les élus. Je crois que la baisse a un effet psychologique énorme sur les maires.
Beaucoup de maires se voient d'abord comme des bâtisseurs, des aménageurs, car ce sont les attentes d'une partie de leur population. N'oublions pas que nous vivons depuis 20 ans un phénomène de retour des populations de la grande ville vers la campagne et petite ville. C'est l'exode urbain, causé par le prix du foncier et des loyers dans les agglomérations. Les nouveaux habitants réclament les mêmes services en zone rurale qu'en ville... Des routes et des chemins impeccables, de l'éclairage public, des rond-points, des salles de sport, des activités culturelles etc. L'impatience des citoyens habitués au tout jetable, aux émissions type "maillon faible" et de télécrochets à éliminations par téléphone, et les difficultés de la gestion locale, provoquent l'usure prématurée des élus. Des tensions se font jour entre les membres des équipes municipales. Vis-à-vis de la population, être obligé de renoncer à des promesses, cela peut même pousser certains maires à la dépression.
Les baisses de dotations ne sont pas si colossales, mais les élus les ressentent fortement parce qu'il n'y a pas si longtemps, ces dotations étaient en augmentation chaque année. Du coup, les élus constatent la baisse, et surtout ils pleurent sur un argent sur lequel ils ont pu construire des perspectives il y a quelques années. Et puis, par effet de cascade, les baisses provoquent des réductions des subventions possibles des Régions et des Départements pour les projets communaux, puisque ces collectivités sont elles aussi en difficulté...
De son côté, l'Etat, comme les Régions et les Départements oblige à faire réaliser les projets par les Communautés, de plus en plus éligibles aux subventions à la place des communes. Malheureusement, conduire des arbitrages intercommunaux se révèle laborieux, et parfois même impossible. Au final, le but est atteint, il y a moins de projets publics locaux, et ils mettent beaucoup plus de temps à émerger.
Après lecture de ces premières lignes de constat, vous êtes convaincus qu'il faut manifester ? Si oui, c'est que vous n'avez pas encore pris en considération tout ce qui se passe, qui est moins visible mais irréversible.
La première chose à dire est que des économies étaient possibles. Nous les avons faites à Ecommoy, alors pourquoi d'autres ne le pourraient-ils pas ?
La seconde chose est que les baisses réelles de dotations sont exagérément présentées dans beaucoup de cas. Les baisses sont compensées à 70% en moyenne par le système de la péréquation. La péréquation redistribue davantage de dotations aux communes les moins riches, soit il s'agit d'argent de l'Etat qui ne va pas vers les plus riches (l'Etat donne davantage aux moins riches), soit c'est carrément un fond entre collectivités qui prend aux communes les plus riches pour redistribuer aux moins riches. En réalité, 75% des communes sont plutôt bénéficiaires, seuls les territoires très métroplitains ou touristiques ou industrielles (richesse bien au delà de la moyenne), subissent de plein fouet la baisse des dotations. En résumé, quelques centaines de grosses agglomérations payent pour des dizaines de milliers de communes...
Enfin, ces baisses de dotation sont prévues depuis deux ans, et très précisément connues dans leurs effets depuis un an. Ce qui cause la crainte des maires, c'est que tout cela se combine avec la réforme territoriale, qui vise à réduire d'au moins 50% de le nombre des communes.
III Le coût caché du trop grand nombre de communes
Les élus qui vont manifester n'ont-ils rien lu des livres et des interviews de Jacques Attali ? N'ont-ils jamais écouté les interventions de campagnes électorales de François Bayrou (2007 et 2012) ? N'ont-ils pas suffisamment conscience que l'Etat français a perdu son indépendance à cause de sa dette ?
Or, voilà que depuis quelques années enfin, les gouvernants, timidement, à la sauce française, réduisent la voilure... Bien évidemment c'est injuste de mettre les communes dans le même panier que l'Etat, mais les deux sont liés.
-A chaque fois qu'une commune produit des décisions juridiques, des projets, il faut des fonctionnaires d'Etat pour contrôler la légalité avant les éventuels recours, puis il en faut d'autres pour instruire et juger dans les tribunaux
-A chaque fois qu'une réforme est décidée, il faut la faire appliquer à des milliers d'institutions locales. Il faut des milliers d'heures pour former les élus qui se renouvellent tous les six ans, des millions d'heures pour former des agents communaux qui tous ont à faire le même travail à quelques kilomètres de distance...
Plus la commune est petite, plus sa survie en tant qu'entité juridique autonome apparaît anachronique, alors que nous parcourons chaque jour des distances phénoménales, nous communiquons aussi sans nous déplacer, à des vitesses sans commune mesure avec ce qui existait à l'époque de la création des communes (18ème siècle).
Les élus locaux français ont toujours résisté au mouvement occidental de regroupement des communes en plus gros blocs. Ce mouvement a été préconisé dès les années 1960, et mené à bien partout en Europe dans les années 70, sauf en France, malgré des dispositions législatives incitatives, ce fut un échec. Les fusions ont été réalisées ailleurs, elles ont divisé par 3 et parfois par 4 le nombre des communes, en Belgique, Allemagne, Angleterre etc.
Pendant presque trente ans, les petites communes françaises ont pu profiter du phénomène du partage des richesses par la création des communautés de communes et d'agglomérations. Cela aurait peut-être pu s'arrêter là, si des économies avaient été fortement réalisées. Mais en réalité, l'intercommunalité n'a pas fait faire d'économies. Les élus en ont usé pour mettre en place de nouveaux services (des écoles de musique, des piscines, des salles de sport un peu de tout partout !).
IV L'intercommunalité renforcée, même déplaisante est une solution
A présent, vu la situation financière du pays, il n'y a donc pas d'autres manière de faire des économies qu'indirectement, par les systèmes institutionnels et financiers contraignants. D'abord, c'est par l'augmentation des seuils de l'intercommunalité (5000 habitants depuis 2011, bientôt 15000), qui incite les petites communes à fusionner pour continuer à peser au niveau intercommunal élargi. Les réformes obligent à transférer des compétences (Gestion des milieux aquatiques, Plans d'urbanisme, eau et assainissement, déchets, tourisme etc)
Du coup, les petites communes ont compris depuis quelques mois qu'il fallait penser à créer des "communes nouvelles" pour avoir un poids politique dans les Communautés. L'apparition des communes nouvelles est inespérée et encourageante, mais les vieux réflexes d'élus sont encore capables de tout faire échouer "on ne maîtrise pas les conséquences de ce truc, on n'y comprend rien, alors on est contre...".
Du coup, les petites communes ont compris depuis quelques mois qu'il fallait penser à créer des "communes nouvelles" pour avoir un poids politique dans les Communautés. L'apparition des communes nouvelles est inespérée et encourageante, mais les vieux réflexes d'élus sont encore capables de tout faire échouer "on ne maîtrise pas les conséquences de ce truc, on n'y comprend rien, alors on est contre...".
Pourtant, la fusion des communes est le but de toute façon recherché par l'ensemble des réformes depuis cinq ans, et cela s'imposera par les finances. Et au fond, cela change quoi qu'une commune fusionne avec une ou deux voisines ? Elle franchit le cap des 1000 ou 2000 ou 3500 habitants, et possède un territoire trois fois plus vaste ? Et alors ? Cela reste une commune non ? Cela ne change rien en négatif pour les habitants. A eux de désigner des élus représentatifs et à l'écoute de tous. Comment fait-on dans les communes étendues et peuplées ? Il faut juste se fixer le bon seuil. Mais des communes de quelques centaines d'habitants proches d'une petite ville ont-elles encore de l'avenir ?
Voilà, ce qui motive ma position de ne pas m'associer aux mouvements syndicaux des maires. Je rappelle d'ailleurs, qu'une association de maires représentants aussi l'Etat régalien, n'a pas à se comporter comme une corporation syndicale. Les réformes engagées au niveau nationale, sont dans l'intérêt de la France obligée de se battre sur la scène mondiale pour maintenir et développer son économie, ses emplois, il me semble. Elles se discutent âprement au Parlement depuis des mois ces mesures impopulaires, et dans ce Parlement, il y a un fort lobby d'élus locaux.
Enfin, sur le symbole, le 14 juillet, en pleine saison touristique du pays le plus visité au monde, n'y a-t'il pas meilleure image à montrer que celle, encore une fois, de français qui râlent, et quels français, les premiers de chaque commune ?
5 commentaires:
Pourquoi n'y a-t-il jamais de commentaires?
Bonjour,
Tous les commentaires constructifs sont publiés. Mais les lecteurs de ce blog viennent pour s'informer avant tout, sur des sujets souvent techniques qu'il n'est pas facile de commenter ?
Certaines personnes me contactent directement pour me livrer des commentaires verbalement, au moins ce n'est pas anonyme.
Cordialement.
S.G.
Monsieur GOUHIER, pouvez vous m'expliquer ,selon vous, pourquoi une certaine partie des maires de FRANCE a fait du forcing pour que les conseillers communautaires NE soient PAS élus au suffrage universel sur le périmètre de la comcom( de liste par exemple ou autre)?.
Comment, vu les compétences grandissantes des comcoms, le citoyen pourra t-il juger légitimes des décisions concernant son cadre et mode de vie actées par des personnes non "labellisées" si je puis dire, par un vote républicain?
Je m'attends à de nombreuses arcanes et je m'interroge sur la constitutionnalité d'un tel amalgame.
Je ne demande qu'à me tromper et c'est pourquoi j'ai besoin de l'explication technique de l'enseignant que vous êtes pour me forger l'opinion.
Merci
Bonsoir,
S'il y a peu de réactions c'est que les exposés sont suffisamment clairs et alors soit ils emportent l'adhésion soit,même si on n'est pas en phase politique avec le rédacteur, on a peu d'arguments contre.
Sur ce sujet il faut arrêter dans ce pays d'être toujours contre tout et de ne rien proposer : l'immobilisme conduit toujours, au final, à des évolutions négatives et à l'émergence des extrêmes.Il faut avoir le courage de dire la vérité : c'est ce que fait Sébastien Gouhier , là ou d'autres préfèrent manier le mensonge ou adopter la politique de l'autruche.
Il est temps de sortir de la France des clochers, d'arrêter de brandir constamment la perte d'identité pour faire peur.Elle n'est jamais bonne conseillère et risque de nous conduire à l'effet exactement inverse de celui recherché : la perte de l'identité rurale au vue des difficultés croissantes qu'ont nombre de maires de petites communes à faire face.L'union fait la force!
L'exemple le plus proche d'une fusion idéale de communes est celui de Laigné-St Gervais.Allez, chiche!
Bien qu'elle paraisse s'imposer comme une évidence démocratique depuis que l'on confie des responsabilités stratégiques et des budgets énormes aux intercommunalités, la question de l'élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires est très sensible pour plusieurs raisons.
La plus évidente est que les élus communaux ne veulent pas perdre leur pouvoir. Ils ont souvent lutté d'ailleurs en parallèle pour empêcher que les intercommunalité aient de nouvelles compétences.
Ils pensent que l'élection au SU direct provoquera forcément la disparition des communes membres.
Voici le communiqué de l'AMF sur ce point : lettre du 9 juin 2015 disponible sur le site de l'AMF :"Très clairement le texte voté par l'Assemblée Nationale constituait une offensive contre les 36000 communes et leurs maires, en programmant, dès 2020, le suffrage universel direct au sein des intercommunalités, et la suite logique qui en découlerait : attribution aux intercommunalités de la clause de compétence générale, de la DGF (dotation globale de fonctionnement), mutualisation des impôts locaux..."
Je prendrai le temps dans un article prochain, de revenir en détail sur le contenu de la loi finalement adoptée le 17 juillet.
Cdt
S.G.
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