dimanche 11 mars 2012

Droit de vote des étrangers aux élections municipales : un risque pour la laïcité ?

Qui aurait imaginé il y a un an, alors que se préparait pour la présidentielle un candidat brillant économiste, dans le contexte d'une crise de la dette publique, que la campagne électorale de 2012 entre les deux principaux partis du pays, ne parlerait que de halal et de casher, de droit de vote des étrangers ou de leur nombre important en France ?

Comment parler de ce sujet sans heurter ceux qui sont à fleur de peau et proclament que « la religion n'est pas affaire de science et de modernité » et que « les pratiques n'ont pas à être moins ancestrales » qu'il y a 2000 ou 3000 ans ? Réponse : on ne peut pas. Cela tombe bien, j'assume de heurter parfois, le moins possible je m'y emplois.
Pauvre premier Ministre, il a essayé lui aussi cette semaine, et aucun scientifique ou historien n'est allé le défendre pour nous expliquer que « bien sûr la grande majorité des prescriptions ou interdits religieux a pour origine des considérations de santé publique ».

C'est le juriste qui le rappelle : à l'époque de l'écriture de la Bible (il y a 2600 ans environ), il n' y avait pas de lois parlementaires éclairées par des avis scientifiques, peu d'agents de contrôle, pour imposer au bon peuple des pratiques préventives des épidémies. A défaut d'un système politique hyper-structuré, quel était le sentiment humain sur lequel on pouvait le plus compter pour obtenir les comportements attendus, sans que cela coute un copec ? LA PEUR. La solution à nos problèmes de dette ne serait-elle pas de restaurer la théocratie ? Le Pharaon et les dieux au pouvoir, et l'on peut diviser alors par 1000 le nombre de fonctionnaires (policiers, magistrats, enseignants, chercheurs).

Or donc, donner le droit de vote aux étrangers aux élections municipales, constituerait pour les opposants à cette proposition, un danger pour la laïcité, puisque, de fait il existerait déjà un fort lobbying ayant pour effet que des personnes soient contraintes de suivre des pratiques religieuses à leur insu, le fameux halal. Il est vrai que la restauration scolaire est une compétence des collectivités municipales pour les cantines des élèves de maternelle et élémentaire.
Et oui, il y a de plus en plus de mairies qui inscrivent les pratiques religieuses comme donnant droit à des repas particuliers pour les familles qui le demandent. Cela est d'ailleurs parfaitement légal, parce que notre système juridique est très ambigu sur la question de la laïcité des services publics. Là est le problème, les élus décident de tout, ou presque. Donc, on peut inévitablement s'attendre à ce que les élus locaux cèdent davantage encore aux pressions si des électeurs expriment des votes communautaires. Et si l'on n'y prend pas garde, la facilité administrative et financière pourrait peut-être aboutir à ce que des enfants de familles qui ne l'ont pas demandé, consomment des repas confessionnels.

Aujourd'hui, lorsque nous préparons tous les 3 ans l'appel d'offre pour choisir notre prestataire de restauration scolaire, on nous demande s'il faut prévoir cette obligation de « repas confessionnel » dans le cahier des charges du futur contrat... Et nous répondons : « euh ! Vous avez vu que nous étions à Ecommoy là ? » En fait, cette réponse est un gain de temps car au quotidien nous ne pouvons guère philosopher avec nos interlocuteurs à la mairie. Mais je voudrais que vous sachiez quel est mon point de vue sur la laïcité, car c'est en réalité ce point de vue qui explique cette réponse évidente, et non le fait que notre commune n'ait quasiment pas de diversité culturelle.

Tout ce qui distingue des citoyens d'autres citoyens sur la base de « jugements possibles », on pourrait dire de « préjugés », me paraît nuisible à l'harmonie sociale.

Il a fallu des siècles pour que le vendredi ne soit plus jour de poisson obligatoire, n'allons pas maintenant stigmatiser des enfants parmi d'autres enfants.

C'est pourquoi je suis partisan de la laïcité la plus totale, la plus stricte qui puisse être.
La Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, dite Commission Stasi (rapport rendu le 11 déc 2003) , en a proposé la définition suivante : « la laïcité, pierre angulaire du pacte républicain, repose sur trois valeurs indissociables : liberté de conscience, égalité en droit des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique ». Il n’en demeure pas moins qu’en droit constitutionnel, le concept reste ambigu et peut s’interpréter diversement, car la neutralité peut être de donner les mêmes avantages à tous, ou de n'en donner aucun.

Or, à travers les époques, notre droit a évolué sur cette question. La laïcité fondée en 1791 reposait sur « l’ignorance absolue des religions par l’Etat » (Ph Ségur).
La loi de 1905 en revanche consacre l'acceptation de toutes les religions et leur respect par les pouvoirs publics. Il s'agit en réalité d'assurer la « liberté de conscience », rien de plus. Ce n'est plus l'ignorance par les pouvoirs publics, mais le devoir de permettre cette liberté, et sa limite à savoir la liberté de ne pas être astreint de croire.

Mais, le droit international consacra des rapports moins indifférents à la religion en insistant sur le droit pour chacun aux pratiques religieuses de son choix (art 9 convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950), sans que l'Etat ne perturbe ce choix.

Bref, l'homme d'Etat doit rester neutre. L'erreur du premier ministre n'était donc pas de dire que les pratiques étaient historiquement sanitaires, personne ne peut lui reprocher de dire cette vérité, mais de dire que certaines pratiques devaient évoluer et s'adapter à notre société moderne, car c'est là une violation du principe de neutralité.

Le problème est que, il y a dorénavant beaucoup plus de religions qu'autrefois. Les français ont cru qu'ils pourraient se préserver en faisant la distinction des sectes et des religions, mais la Cour de cassation a reconnu qu'il est impossible au droit de dire ce qu'est une religion et ce qui ne l'est pas. C'est pour cela que le droit pénal incrimine les comportements sectaires seulement s'il peut les qualifier d'escroquerie, mais rien de plus. La haute juridiction administrative, quant à elle, a du reconnaître que les témoins de jéhovah pratiquent bien une religion au sens des dispositions du droit fiscal.

Les pouvoirs publics vont-ils pouvoir continuer à agir en faveur de toutes les religions, anciennes comme nouvelles ? Alors que la ruine nous guette, cela va nous conduire rapidement à une impasse. Il faudra donc en revenir, soit à l'indifférence absolue, soit à la religion d'Etat.

En dehors de la question religieuse, il y a d'autres meilleures raisons d'être contre le droit de vote des étrangers aux élections municipales, comme le fait que si l'on vit en France depuis effectivement longtemps et que l'on souhaite le suffrage, on peut devenir français et pour ça s'intégrer. Cette démarche volontaire de devenir français étant conditionnée par des signes objectifs d'intégration (langue française), le risque de dérive communautaire est alors réduit. Mais, il y a aussi de bonnes raisons d'être pour, comme celle consistant à dire que c'est en intégrant des étrangers dans les assemblées communales que l'on incite ces populations à s'intéresser aux moeurs françaises et donc que l'on favorise leur intégration.

Le problème n'est donc pas de donner le droit de vote aux étrangers, il est de ne pas suffisamment préciser ce que doit être la laïcité républicaine aujourd'hui. On peut certes saluer un commencement de recadrage entrepris sous l'ère Chirac avec l'adoption de la loi du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ». Mais il est urgent d'aller plus loin, en clarifiant notre droit constitutionnel. Donner le droit de vote aux étrangers n'est possible qu'à cette condition de renforcement simultané de tous les principes juridiques qui empêchent les comportements communautaires dans le service public.
Ce serait l'occasion de traiter enfin de manière égale toutes les religions, ce qui est loin d'être le cas actuellement.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

bonsoir je serais curieuse de savoir ce que vous entendez par " des principes juridiques qui empêchent les comportements communautaires dans le service public" je trouve cette expression assez ambigüe

Sébastien Gouhier a dit…

C'est un vaste sujet, ce préalable que je pose n'a d'ailleurs peut-être pas de réponse réalisable, et pourrait donc conduire à dire que le droit de vote des étrangers aux élections locales ne sera pas sans risque.

Mais, on pourrait par exemple renforcer la défense de la langue française, et continuer de refuser la reconnaissance officielle de toute autre langue, comme les langues régionales (là dessus je suis en désaccord avec F. Bayrou qui souhaiterait la ratification de la Charte des langues régionales).

On pourrait frapper d'inéligibilité les personnes revendiquant ostensiblement une appartenance religieuse. Alors qu'actuellement, une candidate du NPA a pu figurer voilée sur une liste aux élections régionales de 2010 en PACA avec la validation du Tribunal administratif de Marseille (23 février 2010, ass AWSA France, n°1001134).

On peut aussi obliger à renoncer à la double nationalité. On peut obliger à la parité dans toutes les élections même dans les plus petites communes, et même dans certains services publics. Je ne dis pas que ce sont des idées excellentes et efficaces, mais l'idée est bien de multiplier les précautions, soit dans la Constitution, soit dans les lois organiques.

Anonyme a dit…

bonsoir
une seule langue, une seule nationalité,qu'en est il des enfants métissés ? je considére que c est une richesse qui devrait etre source de partage et non une tare, je trouve cela triste et sectaire.