mardi 15 septembre 2020

Les agressions de toute nature envers les maires deviendraient systématiquement des "outrages" : les tribunaux vont crouler sous les procédures

L'enfer est pavé de bonnes intentions. Bien entendu il faut saluer l'intention affichée de punir plus sévèrement les agressions contre les élus dépositaires de l'autorité publique, mais le risque est grand d'encombrer les tribunaux, tant les occasions de déposer plainte sont nombreuses.

Nos concitoyens ont pris l'habitude d'aller trop loin. Les réseaux sociaux ont contribué à ces dérives. Le ton monte. Dans le combat politique, dans certaines réunions municipales, et parfois dans de simples lettres ou courriels que certains envoient sous le coup de la frustration, des mots et des gestes portent atteinte au respect dû.

Les articles 433-5 et 434-24 du Code pénal prévoient plusieurs situations de délit d'outrage.

tout d'abord, l'article 433-5 du Code pénal réprime les outrages adressés à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public (agents territoriaux ou d'Etat).

L'article 433-5 du Code pénal prévoit en réalité plusieurs situations différentes d'outrage en ce qu'il dispose que :

« Constituent un outrage puni de 7 500 euros d'amende les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.

Lorsqu'il est adressé à une personne dépositaire de l'autorité publique, l'outrage est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.

Si les nouvelles consignes sont respectées, l'arsenal juridique peut être très dissuasif, car les maires et adjoints sont aussi des magistrats (officiers de police judiciaire) et surtout le maire participe à la désignation des jurés d'assises.

A cet égard, l'article 434-24 du Code pénal dispose que :

« L'outrage par paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus publics ou par l'envoi d'objets quelconques adressé à un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de cet exercice et tendant à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. ..

Ces éléments de fait peuvent n'être ni grossiers, ni offensants par eux mêmes mais doivent à porter atteinte à la personne et à diminuer le respect dû à la fonction. Depuis quelques décennies, la jurisprudence ne tient pas compte de l'intention de discréditer l’institution ou le corps, de sorte que les condamnations sont plus faciles. Il semble que les juges sont devenus de plus en plus susceptibles avec le temps dans l'appréciation subjective des éléments matériels constitutifs de l'outrage, ce qui facilite les condamnations.

La parole, publique ou non, est le véhicule le plus commun de l’outrage. La grossièreté des mots employés n’est pas une condition juridiquement nécessaire.  Ainsi, la Cour d’Appel de Paris le 3 avril 2001 a condamné pour outrage à personne dépositaire de l’autorité publique le prévenu qui lors d’une interpellation pour infraction à la circulation routière utilisa l’expression « mon pote » envers un policier, et fit une réflexion sur le fait que les policiers feraient mieux de courir après les voleurs ce qui, selon les juges du second degré procède de la volonté de porter atteinte au respect dû au fonctionnaire et à sa fonction en le rabaissant, en niant son autorité et en critiquant la pertinence de ses choix, même si, par son appartenance aux métiers du bâtiment, le prévenu est habitué à l’emploi d’un langage direct, vigoureux et familier.

La chambre criminelle de la Cour de Cassation le 20 décembre 1989 a même pu considérer que l’outrage pouvait être commis par omission et a ainsi condamné un automobiliste qui se laissa verbaliser pour n’avoir pas attaché sa ceinture de sécurité, alors qu’il était médicalement dispensé de cette précaution ; mais, il ne parla pas de cette dispense aux gendarmes verbalisateurs. Cela peut donc résulter aussi du fait de faire perdre son temps à l'élu, bref de "se moquer du monde".

Et je repense à cet administré m'ayant envoyé 10 longs courriels le même jour pour l'histoire des chats de voisinage ... 'près de 50 courriers au total...

Je songe aussi avec anticipation : si ce qui était qualifié d'injures jusqu'à présent est désormais requalifié en outrage, alors ce qui était "outrage" va devenir aussi plus sévèrement qualifié, en ... rébellion ?

En effet, on constate que les poursuites fondées sur le délit d'outrage, généralement envers les forces de l'ordre, visent aussi fréquemment le délit de rébellion prévu et réprimé par l'article 433-6 du code pénal.

Il faudra bien entendu que les tribunaux tiennent compte de la nécessaire liberté d'expression dans la vie démocratique ... mais inévitablement certains élus ne vont pas le comprendre et se serviront des nouvelles consignes pour défendre leur honneur si souvent malmené.

Français râleurs et parfois rebelles, vous voilà prévenus.

Sébastien Gouhier




Aucun commentaire: