samedi 25 avril 2020

Pourquoi les maires ne devraient pas acheter de masques pour la population sur les deniers communaux


Au plus haut sommet de l'Etat, l'Exécutif a annoncé qu'à partir du déconfinement progressif prévu le 11 mai, il serait fourni des masques à la population "en lien avec les maires". Cette annonce n'a malheureusement pas été clarifiée à ce jour, mais elle se comprend dans le cadre de notre système juridique et institutionnel.



I La légalité : dans la lutte contre la pandémie, à chacun ses compétences

La lutte contre la pandémie est une compétence exclusive de l'Etat, les maires n'interviennent que comme agent exécutif des mesures nationales. Le principe est clair, il a été appliqué ainsi lors de l'épisode de grippe H1N1 de l'hiver 2009/2010. L'Etat avait par exemple fourni des masques commandés par Mme Bachelot. Les français ne le savent pas mais il en va de même pour la fourniture de pastilles d'iode en cas de contamination d'origine nucléaire.

Pris de panique ou d'élan de démagogie, de nombreux maires ont oublié qu'ils ne sont pas compétents en matière de santé publique. La justice vient de leur rappeler plusieurs fois dont la dernière très fermement par un arrêt du Conseil d'Etat du 17 avril 2020 validant l'annulation d'une décision du maire de Sceaux d'imposer le port d'un masque aux habitants. Le maire peut compléter à la marge pour la bonne exécution des mesures nationales « le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements.". Mais après la loi du 22 mars 2020 la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle, pendant la période où elle trouve à s’appliquer, à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État ». Il conclut que « les conditions n’étaient donc manifestement pas réunies en l’espèce pour que le maire de Sceaux puisse légalement édicter une telle interdiction sur le fondement de son pouvoir de police générale »."

L'Association des maires de France vient d'émettre un rapport à destination de l'Etat réclamant le respect du principe de compétence de l'Etat et donc appelant la prise en charge par l'Etat du coût des mesures exceptionnelles préconisées pour le déconfinement.

Pour le reste, les communes ont déjà à prendre en charge ce qui relève de leurs compétences, à savoir, la désinfection renforcée des locaux ouverts/réouverts au public, la sécurisation de l'application des mesures barrière au sein des bâtiments accueillant les enfants (cantines, crèches etc), les adaptations des mobiliers scolaires (écrans plastiques ou autres), le soutien informatique et reprographique pour l'enseignement à distance des élèves en difficulté.

Pour la fourniture d'équipements de protection individuelle aux élèves sur le temps Education Nationale, la prise en charge apparaît incertaine. La Région a annoncé équiper les lycéens ? A quel titre ? Personne ne sait si les masques vont être imposés en classe car, soit l'école peut reprendre avec des règles de distance, soit elle ne peut pas... Le Ministre de la Santé lui-même a indiqué qu'il était difficilement envisageable d'en faire porter aux élèves, et en tout cas pas aux primaires, qui de toute façon ne présentent pas de risques directs entre eux. Dans la plupart des exemples historiques, l'équipement personnel des élèves relevait des familles. Finalement, la classe n'étant pas obligatoire en période de risque Covid19, la réponse me paraîtrait aller de soi.

Il me semble donc que le rôle des municipalités en matière de masques doit être de coordonner les initiatives privées, notamment bénévoles consistant à fabriquer des masques, et de tout faire pour faciliter ces entreprises. Quand le moment sera venu, elles pourront participer à la distribution des masques que l'Etat aura fournis. Mais elles ne peuvent prendre la charge de "délivrer" d'elles-mêmes des masques à l'ensemble de la population. Se précipiter en ce sens peut même présenter des inconvénients.



II L'opportunité : pourquoi acheter quand l'offre privée regorge d'initiatives ?

Certaines grandes villes qui connaissent une densité importante de population ayant beaucoup de mal à respecter le confinement et les mesures de distanciation dans l'espace public ont une problématique particulière objectivement différente de ce que vit le monde rural. Elles ressentent le besoin de fournir sans attendre des masques pour les habitants obligés par exemple de prendre les transports en commun. Ces initiatives au cadre légal incertain sont fortement médiatisées par les grands supports de presse nationale et donnent une fausse image de la situation de la grande majorité des communes de France. Toutefois de très petites communes ont aussi entrepris de fournir des masques à toute leur population... Quand la peur et la perte de confiance gouvernent.

Je ne crois pas que le monde rural doive suivre la même logique. Le contexte épidémiologique n'est pas le même partout et surtout les moyens ne sont pas les mêmes. L'Etat a manqué, et manque encore de moyens dans la lutte, en raison de la pénurie de masques. Nous savons qu'il n'y en a pas assez pour le personnel soignant, et aidant à domicile ou en maison de retraite. Face à cette situation on constate une flambée des prix et une multiplication des propositions douteuses, des dates de livraison hasardeuses et des produits non conformes de médiocre qualité. En outre, est-il bien moral de fournir à des entreprises de Chine un surcroît d'enrichissement infondé alors que ce pays est à l'origine de nos problèmes ?

Je ne souhaite pas associer ma commune à ce mouvement de surenchère locale qui met à mal les bénéfices de la globalisation des achats par l'Etat qui peut seul obtenir des prix raisonnables et une qualité irréprochable. Notre municipalité ne souhaite procurer des masques que dans la mesure du nécessaire à une bonne qualité des services municipaux. Elle ne souhaite pas concurrencer inutilement le commerce local. En effet, des commerces écomméens proposent désormais des masques lavables, les grandes surfaces et les buralistes vont le proposer, et un artisan de la galerie commerciale du Soleil le fait déjà. 

En attendant de savoir comment l'Etat va faire procéder aux distributions qui lui incombent, sachant que les masques ont de toute façon un coût, nous avons fait le choix pour l'instant de nous concentrer sur les habitants qui n'ont pas les moyens suffisants pour se procurer des masques pour les semaines et mois à venir. Nous ouvrons donc lundi 27 avril un local pour accueillir les bénévoles couturières auxquelles nous fournissons les matériaux. Notre intention est de produire environ un millier de masques qui seront offerts aux habitants prioritaires.

Comme dans toutes les communes de France, la solidarité est d'abord une affaire personnelle que la mairie accompagne du mieux qu'elle peut, là est son rôle.

Sébastien Gouhier.

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