Il est donc établi clairement que les maires ne sont pas seuls en charge de la sécurité sur leur commune. Beaucoup de domaines ne sont pas de leurs compétences : installations à risque pour l'environnement (ICPE), routes départementales ou nationales hors agglomération, gares et réseaux ferroviaires etc. Dès lors, comment le maire d'Ecommoy a t-il pu osé prendre un arrêté municipal pour la traversée des piétons en gare de sa commune ?
Tout simplement, c'est la jurisprudence administrative qui valide l'intervention exceptionnelle des maires sur la base d'un vieil article du code des communes désormais ainsi libellé :
Tout simplement, c'est la jurisprudence administrative qui valide l'intervention exceptionnelle des maires sur la base d'un vieil article du code des communes désormais ainsi libellé :
Article L.2212-4 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT)
"En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances.
Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prescrites."
En effet, il arrive que les autorités de l'Etat, titulaires d'une police spéciale réservée, soit en situation de carence à faire face à un réel danger. L’autorité de police générale peut agir dans l’urgence lorsqu’il y a nécessité. Ceci a été reconnu à propos de l'hypothèse d'une usine autorisée qui ferait peser sur la population un risque grave. Mais, la plupart du temps, les juges constatent que l'intervention du maire n'a pas été en réalité justifiée. Les maires ont le tort de prendre des décisions trop radicales, et parfois trop hâtives :
C.E., 15 janv. 1986, Sté Pec-Engineering "la pollution atmosphérique causée par le fonctionnement défectueux d'une usine d'incinération ne menaçait pas gravement la santé et la salubrité publiques dans l'agglomération de L.. La vive hostilité de la population locale et le risque de troubles à l'ordre public qui en résultait ne constituaient pas davantage un péril imminent. Par suite, le maire de la commune n'a pu légalement se substituer au préfet pour interdire provisoirement l'exploitation de l'usine litigieuse à la société requérante"
C.E. 29 septembre 2003 Houillères du bassin de Lorraine : "Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les risques présentés par le complexe chimique de Carling-Saint-Avold menaçaient d'un péril imminent la commune de Saint-Avold ; que, par suite, s'il appartenait au maire de cette commune d'appeler l'attention du préfet de la Moselle sur l'intérêt de prendre, le cas échéant, des mesures complémentaires à son arrêté du 5 décembre 1989, il ne pouvait sans excéder sa compétence, édicter lui-même de telles mesures" .
Concernant les gares et voies ferrées, le problème est que jamais le Conseil d'Etat n'a reconnu la possible intervention d'un maire. Si bien que pour certains spécialistes, il y aurait un cas ici d'exclusivité de compétence de l'Etat, même en cas de danger grave et imminent. Ceci voudrait dire, que même si une dangerosité est avérée, l'autorité municipale qui est la plus proche pour en juger au quotidien, n'aurait pas de pouvoir de décision immédiate, elle ne pourrait qu'alerter le Préfet qu'il doit intervenir ? Il y aurait alors une idéologie particulière absolument contraire aux autres principes du droit, qui prévaudrait dans le cas de la police des transports. Car alors pourquoi admettre une intervention possible pour une usine ? Parce que le nombre de victimes potentielles est plus grand qu'avec une traversée de voies ferrées ? Parce que la SNCF est un état dans l'Etat habitué à ne rendre de comptes à personne ? On aurait vite fait de voir là une des raisons de certains dysfonctionnements de cette entreprise décidément archaïque dans son architecture et sa mentalité. Je ne m'y résous pas.
Dans ce contexte, quel poids, quel intérêt peut bien avoir mon arrêté municipal du 23 février 2017 ?
Sa légalité peut être contestée, mais il faudra un procès pour l'établir, devant le Tribunal administratif de Nantes, cela prendra 18 mois. Un appel sera possible, puis un pourvoi en cassation jusqu'au Conseil d'Etat. Ce sera un plaisir intellectuel pour moi de défendre la possibilité pour un maire d'agir dans un cas exceptionnel comme le notre.
Tout d'abord, nul ne pourra contester qu'il y a une situation de "danger grave ou imminent", puisque c'est la mort qui frappe dans notre gare, pour la seconde fois en six ans, et qui peut frapper à tout moment du fait d'un dispositif qui a été jugé défaillant par le juge judiciaire, spécialiste de la responsabilité civile (jugement du Mans le 5 juillet 2016). Le dispositif d'interdiction de traversée piétonnière à l'approche d'un train se résume à des pictogrammes lumineux alors que les trains passent en gare à 140 km/h ! Imaginez un instant l'équivalent sur la route, ce serait prévoir un passage clouté sur une autoroute avec un feu tricolore classique en espérant que les piétons respectent bien la couleur du bonhomme !!!
Pire encore, comme l'a soulevé le procès du précédent accident survenu en 2011, le dispositif peut être ignoré par le fait de l'habitude et être mal interprété, puisque le passager qui vient de descendre d'un train en gare peut croire que le signal est allumé parce que son train vient d'arriver à quai ou repart, alors qu'en réalité, le signal ne se déclenche que par l'approche d'un second train.
Il n'existe ici aucun dispositif sonore en complément du dispositif lumineux, aucun message d'un train en approche, il faut prier pour que les piétons entendent le klaxon du second train en approche alors que le premier train lui est en train de repartir en poussant tous ses moteurs à fonds ...
Il suffirait d'un système de message automatique vocal répété plusieurs fois indiquant : "attention un train va entrer en gare, traversée interdite, éloignez vous des quais".
Ainsi, imaginant que le danger grave et imminent soit établi, la seconde condition de légalité de mon arrêté municipal, tient à ce qu'il prescrit. Il ne s'agit de rien d'autre que d'imposer de compléter le dispositif lumineux par un dispositif sonore, le dispositif sonore pouvant être provisoirement la voix humaine d'un personnel de la SNCF. Mon arrêté n'interdit pas le passage des trains, ne prononce pas la fermeture de la gare, n'ordonne pas la limitation de la vitesse, de sorte qu'on ne peut pas lui reprocher d'être excessif.
Toutefois, j'en conviens, on pourra peut-être lui reprocher d'imposer la présence humaine alors que la SNCF prétend que cette mesure n'est pas pertinente, parce que les personnels qui sont en gare n'ont plus d'informations sur l'arrivée des trains. Oui, il faut être au 21ème siècle, à l'heure de la géolocalisation de n'importe quel véhicule, à l'heure des tablettes connectées tactiles à bon marché, pour s'entendre dire que les agents qui seraient en gare ne serviraient pas à grand chose pour prévenir les passagers de l'arrivée imminente d'un train !
Admettons que cette obligation contenue dans mon arrêté ne soit pas validée par le tribunal, et je connais d'autres arguments que je ne livrerai pas ici qui pourraient renforcer cette fragilité juridique, le tribunal pourrait n'invalider que cet article et maintenir l'obligation de compléter ou améliorer le dispositif lumineux.
En somme, mon petit arrêté, fortement médiatisé par un procès auquel les juges seraient sensibles, pourrait donner quelques sueurs froides aux juristes de la SNCF, si l'on donne l'occasion au Conseil d'Etat de se prononcer pour la première fois sur les pouvoirs du maire en cas de danger grave et imminent dans une gare, si on lui donne l'occasion à lui aussi de dire indirectement que la SNCF manque à son obligation de sécurité vis à vis des passagers...
1 commentaire:
En effet, comment comprendre que le progrès technique ne puisse pas "ruisseler" sur la vénérable SNCF. En plus des mesu
N'est t-il pas possible , au 21eme siécle , en plus des mesures de renforcement que vous préconisez dans votre billet,d' installer dans les gares dangereuses (sont-elles si nombreuses?) 2 verins asservis à une barrière enterrée au niveau du passage , commandée par radio fréquence par le conducteur du train ou même peut être à distance par celui du train croiseur roulant bien sur à plus faible vitesse lorsqu'il voit son collègue à l'arrêt ou au départ ?(pas de câblage supplémentaire). Est ce utopique?
Je m'interroge aussi sur le passage souterrain. Le ruisseau traverse déjà la gare. Cela en est une amorce.Puisque la SNCF est OK pour l'étude d'une passerelle,pourquoi ne l'étudierait-elle pas en même temps.
Mais la vraie question juridique qu'il faudra trancher, Monsieur le Maire ,un jour, c'est la suivante:
Quand l'état ou ses satellites imposent une mesure, c'est à l'état de financer les investissements sécuritaires ou environnementaux découlant de ses prescriptions.
Quand la loi SRU ALUR GRENELLE ,impose "in fine " par les SCOTs et PLU qui doivent s'y conformer, de densifier "autour" des gares, c'est bien à l'état et/ ou à l'europe de financer directement ou indirectement les investissements de sécurité, passerelle,ou autre, qui en découlent.
C'est bien la définition générale de" la subvention "qui ne peut s'octroyer que pour des projets que la loi (nationale ou européenne) a autorisés.
Sauf si la SNCF est considérée, comme vous le dites si bien," comme un état dans l'état "avec sa "constitution" particulière.
En tout cas provoquer une première jurisprudence sur ce sujet si dramatique ne peut être que porteur d'espoir.
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