samedi 23 février 2013

Impacter une zone humide, pas si simple qu'on le dit parfois


Certaines personnes croient que la protection des zones humides peut être "contournée" parce qu'il existe une possibilité pour les maîtres d'ouvrage de compenser leur destruction en constituant des zones humides équivalentes au double de l'espace perdu. Par exemple, c'est ainsi que le projet d'aéroport de Notre Dame des Landes a pu être envisagé par ses promoteurs dans une vaste zone humide. Mais, ce grand projet est l'occasion de contestations à la pointe des évolutions du droit de l'environnement. En réalité, pour aménager un territoire malgré la présence de zones humides, il faut obtenir une autorisation de l'Etat. Or, ce type d'autorisation est devenu très difficile à obtenir si l'on regarde l'esprit de la loi.

Le code de l’environnement dispose dans son article L. 211.1 Modifié par loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 - art. 132 :
I. - Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer :
1° La prévention des inondations et la préservation des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides ; on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d'eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l'année ;

Voici comment l’article R. 211-108 appréhende la notion de zones humides :
« Les critères à retenir pour la définition des zones humides mentionnées au 1° du I de l’article L. 211-1 sont relatifs à la morphologie des sols liées à la présence prolongée d’eau d’origine naturelle et à la présence éventuelle de plantes hygrophiles. Celles-ci sont définies à partir de listes établies par région biogéographique. En l’absence de végétation hygrophile, la morphologie des sols suffit à définir une zone humide. »

Le Schéma Directeur d’Aménagement et de Gestion des Eaux du bassin Loire Bretagne adopté le 26 juillet 1996, affirme :
« Les zones humides ont un rôle irremplaçable dans le cycle de l’eau : les marais, les tourbières, les vasières, les prairies humides autoépurent, régularisent le régime des eaux, réalimentent les nappes souterraines. Elles sont parmi les écosystèmes les plus productifs sur le plan biologique. Malgré cela, les zones sont souvent parmi les milieux les plus dégradées et les plus menacés. Leur régression doit être arrêtée grâce à la mise en place d’une véritable politique de préservation et de gestion basée sur la reconnaissance de leur statut d’infrastructure naturelle ».

Les dispositions de ce SDAGE n’ont manifestement pas été suffisantes pour enrayer le processus de destruction des zones humides, puisque le SDAGE adopté le 18 novembre 2009 par le Préfet coordonnateur de bassin, indique :
Le SDAGE Loire-Bretagne affirme ainsi que « Malgré la prise de conscience amorcée dans le cadre de la loi sur l’eau de 1992, et traduite dans le SDAGE de 1996 au travers de l’objectif vital « sauvegarder et mettre en valeur les zones humides », la régression de ces milieux se poursuit.
Les dispositions du SDAGE s’imposent aux autorisations d’assèchement et de destruction des zones humides en application de l’article L. 212-1 du code de l’environnement, selon lequel « les programmes et les décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions des schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux ».
Disposition 8B-2 du SDAGE Loire-Bretagne :
«  Dès lors que la mise en oeuvre d’un projet conduit, sans alternative avérée, à la disparition de zones humides, les mesures compensatoires proposées par le maître d’ouvrage doivent prévoir, dans le même bassin versant, la recréation ou la restauration de zones humides équivalentes sur le plan fonctionnel et de la qualité de la biodiversité. A défaut, la compensation porte sur une surface au moins égale à 200 % de la surface supprimée. La gestion et l’entretien de ces zones humides doivent être garantis à long terme. »

Cette nécessité de n'accorder qu'exceptionnellement et à des conditions strictes des dérogations à la destruction des zones humides a également pour but de permettre à la France d'accomplir les objectifs que lui assigne le droit communautaire et plus particulièrement la Directive-cadre sur l'eau du 23 octobre 2000 (directive 2000/60/CE). Cette dernière oblige la France à atteindre le bon état écologique de ses eaux de surface et souterraines à l'horizon 2015 sous peine de sanctions financières. La préservation des zones humides, dont l'apport est essentiel pour la qualité des eaux, participe directement et au premier chef à la réalisation de cet objectif.

Il ressort du SDAGE Loire-Bretagne, traduisant les préoccupations de la réglementation environnementale communautaire, que le maître d’ouvrage doit lorsqu’il porte atteinte à une zone humide d’abord chercher à :
Éviter son impact, si impossible réduire son impact, si impossible compenser son impact. S’il n’est pas en mesure de réaliser ces exigences, son projet ne peut pas être accepté.

Selon Fabien Quettier, directeur d'études au sein du service conservation de la biodiversité de Biotope (bureau d'étude spécialisé) :
« La loi indique clairement que compensation s’inscrit dans une séquence dite « éviter – réduire – compenser » (ERC) qui exige que les projets d’aménagement prennent à leur charge les mesures permettant d’abord d’éviter au maximum d’impacter la biodiversité et les milieux naturels, puis de réduire au maximum les impacts qui ne peuvent pas être évités. Finalement, s’il y a un impact résiduel significatif sur des espèces de faune et de flore, leurs habitats, ou des fonctionnalités écologiques, alors les porteurs de projet devront les compenser « en nature » en réalisant des actions de conservation de la nature favorables à ces mêmes espèces, habitats et fonctionnalités. »

Selon France Nature Environnement, la compensation n'est pas seulement en quantité mais en qualité de nature de zone humide. Cette lecture est également celle que fait le Muséum national d'Histoire naturelle dans le document intitulé « Mesures compensatoires et correctives liées à la destruction de zones humides, Revue bibliographique et analyse critique des méthodes, Rapport final » , paru en septembre 2011 : on y lit que « Si le choix du site de compensation est important, celui du type de la zone humide à restaurer, créer, améliorer l'est tout autant. Compenser par un autre type de zone humide fournit des fonctions pas toujours similaires qualitativement ou quantitativement, soit un résultat inadapté puisque l'on raisonne à fonctionnalité équivalente. En effet, la tentation est grande d'optimiser la réussite de la mesure compensatoire. On pourrait alors envisagé de se focaliser, lors de la création et de la restauration, sur des écosystèmes humides réputés pour le taux de succès des interventions, ceux plus faciles à manipuler en raison de leur fonctionnement, comme les plans d'eau et les marais peu profonds (Robb, 2002). C'est le cas en Nouvelle-Angleterre, où Minkin et Ladd (2003) ont constaté que, du point de vue typologique, les zones humides de compensation ne correspondaient pas forcément aux zones humides impactées. Comme déjà mentionné, une mesure compensatoire où les types de zones humides sont similaires est à privilégier. Dans le cas où les types de zone humide (impacté versus réhabilité) diffèrent, il faut s'assurer de la compensation totale des fonctions. »
Cette analyse confirme qu'il n'est pas pertinent de compenser en détachant entièrement la nature des surfaces détruites de celle des surfaces de compensation.

Aucun commentaire: