lundi 9 avril 2012

Touche pas à mon mariage au nom de l'égalité des droits!

Le mariage, une question de culture ou de nature ?


Chaque élection présidentielle donne lieu aux approximations journalistiques et aux débats mal posés sur des questions de civilisation qui sont pourtant fondamentales. L'important dans une élection personnalisée autour d'un candidat, c'est uniquement de rabattre des voix diront les pros, pas d'organiser un débat philosophique. A la limite, dans l'enceinte du Parlement, on peut parfois assister à de bonnes contributions sur les sujets de société, à condition qu'aucun député maboule ne brandisse sa bible. Alors, une fois passé le cirque de la présidentielle, la campagne des législatives nous donnera peut-être un niveau de discussion un peu plus élevé.
Espérons le ! Sur un sujet, le mariage républicain, je veux dire, sans attendre le troisième tour électoral, ce que je pense des promesses de certains candidats.

Le mariage est une alliance permettant de rapprocher l'inconciliable, car homme et femme ne sont pas naturels à vivre ensemble. Le mariage est une union « hors nature », il relève de la culture.

« Tout mariage est une rencontre dramatique entre la nature et la culture, entre l'alliance et la parenté » écrivait Claude Lévi-Strauss (Extrait de Les Structures élémentaires de la parenté).

Le statut marital est une cage institutionnelle pour l'homme et pour la femme soumis au besoin de s'extraire davantage de l'état de nature. Passions et prédations sont à éviter au sein du groupe humain, éducation et identification sont à développer comme transmission du savoir.
Ainsi, le mariage est fondé sur une différence factuelle entre fonctions mâles et fonctions femelles (reproductives et sociales).

Ceci est le socle justifiant cette fameuse « discrimination légale » qui se dresse encore sur la route des « assimilationnistes », ceux qui veulent que tout se vaille. Vaille que vaille...
Le 28 janvier 2011, le Conseil constitutionnel a estimé que l'interdiction du mariage entre deux personnes du même sexe reposait sur la prise en compte politique de cette différence factuelle.
« qu'en maintenant le principe selon lequel le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, le législateur a, dans l'exercice de la compétence que lui attribue l'article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d'un homme et d'une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ; qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation »

Le mariage n'est pas un droit, c'est une liberté. En effet, sa réalisation suppose le consentement d'une autre personne et nul ne peut exiger d'être épousé. Les sages mentionnent « la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle ».

Les juristes s'appuient donc sur les arrêts rendus pour expliquer qu'il n'y a pas violation du principe d'égalité, puisque celui-ci suppose des situations semblables : « si la discrimination consiste à traiter de manière différente des personnes placées dans des situations semblables, on pourrait tout aussi bien soutenir qu'elle consiste aussi à dénommer de façon semblable des situations différentes » (Jean Hauser, Professeur émérite à l'université de Bordeaux IV).

Pour être explicite, Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université Rennes 1 et vice-président de l'Association Française de Droit Constitutionnel en appelle à un grand philosophe de l'observation : « Renaud dans une jolie chanson : « Même si j’étais pédé comme un phoque, je n’serais jamais en cloque. ».

Nous avons déjà les mêmes droits.


Je vais aller plus loin que mes collègues. Autoriser le mariage entre deux personnes du même sexe est un choix de société, un choix politique. On peut en effet choisir de se décaler par rapport à la réalité factuelle, et estimer que la filiation non biologique peut devenir une seconde norme, quasiment aussi répandue que la filiation biologique, et dire que la famille unisexuelle existe à côté de la famille hétérosexuelle. Si on fait cela, ce ne sera pas en rétablissant une égalité, car l'égalité n'est pas du tout en cause. L'homosexuel actuel ne possède pas moins de droit que l'hétérosexuel.
Face au mariage, l'homosexuel et l'hétérosexuel sont dans la même situation, exactement.
L'homme hétérosexuel a t-il le droit d'épouser un autre homme ? Je ne crois pas. La femme lesbienne est-elle privée de la même possibilité qu'aurait une femme hétéro d'épouser un individu mâle ? Je ne crois pas. Hétérosexuels et homosexuels ont donc bien exactement les mêmes droits.

C'est l'évidence même, pourtant rarement relevée. Parce que ce serait admettre qu'en réalité, l'hétérosexualité et l'homosexualité ne définissent pas juridiquement les personnes. Ce sont des comportements et non des genres. Comme on peut passer de l'état de fumeur à celui de non fumeur, on peut réciproquement passer de l'état d'homosexuel à celui d'hétérosexuel.

Adolescent, j'entendais des homosexuels dire « c'est un processus irréversible, un gay ne regagne jamais le côté hétérosexuel ». Cette présentation permettait de couper court à tout débat sur les causes, l'affaire serait un déterminisme indiscutable.
Pourtant, je comptais parmi mes connaissances un monsieur très efféminé, gay assumé, qui a 45 ans passé est tombé follement amoureux d'une jeune femme qu'il a épousée. Comme maire, j'ai moi même marié un monsieur d'une trentaine d'années qui avait été pacsé plusieurs années avec un garçon ! Il avait ensuite trouvé une femme splendide avec qui il avait des enfants ! Et que dire en sens inverse de ces très nombreux messieurs qui font leur outing après un mariage et une progéniture ?

Le problème n'est pas le mariage.


Chacun l'aura compris, c'est plutôt sur le plan de la filiation bi parentale que se situe en réalité le combat pour les droits (l'adoption monoparentale est acquise). Faut-il en passer par la déstructuration du mariage pour officialiser la famille homoparentale qui existe déjà ?
La jurisprudence reconnaît désormais la possibilité d'adopter en situation homosexuelle (Tribunal administratif de Besançon 24 février 2000 et 10 novembre 2009; Cour européenne des droits de l'homme 22 janvier 2008), même si c'est une difficulté supplémentaire dans un dossier d'agrément (Conseil d'Etat, 5 juin 2002). Le critère de l'agrément est le même pour tout le monde, la stabilité et le non cloisonnement du milieu d'éducation (apport de plusieurs référents adultes).
Mais n'est pas tranchée, il est vrai, la question du statut du conjoint vis à vis des enfants de son partenaire. Il faudra plus qu'une élection présidentielle pour la résoudre, heureusement. Cette question là est bien plus difficile que celle du mariage gay, car elle se heurte à un détail : être parent n'est pas un droit, adopter n'est pas un droit, un enfant n'est pas une chose, son intérêt supérieur passe avant celui des adultes.


Je dis au Président qui légalisera le mariage homo en France : n'invoque pas l'égalité des droits pour saper le mariage. Si tu y touches, invoque plutôt la nécessité d'obtenir le vote gay. Et si tu tiens tant à te référer au principe d'égalité, pour dissimuler ton égalitarisme doctrinaire, supprime carrément le mariage, généralise le statut contractuel civil, fais en un Cerfa dématérialisé puisque 100% des procédures administratives doivent être réalisables en ligne. Le mariage prendra un sacré coup de jeune, un double coup de jeune. Nous serons tous parfaitement égaux dans la République. Le "pacs pour tous" nous punira de l'avoir fort peu vendu auprès des gay.

Pour le reste, la victoire qui sera passée au plan de l'espace républicain, sera surtout une victoire pour les religions, qui verront leur singularité symbolique et leur attractivité rehaussées plus que jamais. De nombreuses conséquences de la réforme finiront de pousser les fidèles à qui les institutions laïques n'offrent plus de sens, vers celles qui en proposent plus qu'il n'en faut dans une vie. Quelle en est la mesure ?

Le jeu des dominos

Le professeur J. Hauser vient d'écrire le 5 mars dernier au sein du Club des juristes : « Jamais la fameuse théorie des dominos n’aura été aussi vraie que dans ce débat... Il faut d’abord abroger l’interdiction des mères porteuses ou de substitution puisque les couples d’homme seront naturellement obligés d’y recourir ce qui justifiera un remboursement par le droit de la sécurité sociale sous la menace d’une discrimination. Il faut ensuite abolir toutes les restrictions au recours à la Procréation Médicalement Assistée (PMA) qui exigent un homme et une femme dans un couple, voire simplement un couple puisque cette exigence devient sans signification faute de modèle de référence ».

Allons plus loin. Puisque l'autorisation du mariage gay sera moins fondée sur l'égalité des droits que sur la conquête d'une simple liberté sous pression lobbyste, en ce cas la prochaine étape sera la reconnaissance de la polygamie, qui ne souffre aucune critique par rapport à la représentation de la famille. Et si le mariage ne repose plus du tout sur l'interfécondité biologique, pourquoi faudrait-il en tout état de cause limiter à deux êtres humains adultes la composition du foyer conjugal ?

Plus provocatrice que moi, Mme Le Pourhiet rappelle dans le magazine Causeur : « Dans un article du 3 juillet 2010 consacré aux passions de certains individus pour leurs animaux domestiques, le journal Marianne faisait part du mariage d’un individu humain de sexe masculin avec sa chatte prénommée Cécilia. L’on sait, en effet, que des juristes anglo-saxons s’interrogent sur les moyens de léguer un héritage à un animal tandis que le mouvement de l’écologie profonde réclame, derrière l’américain Peter Singer, la rédaction d’une Déclaration universelle des droits des grands singes. ».