Pour beaucoup de maires, la chose est entendue. Ils pensent avoir tout pouvoir, puisque les procédures prévoyant un avis des conseils d'écoles, dans lesquels siègent les parents d'élèves, énoncent que les avis des conseils d'école ne sont que consultatifs. La réalité est beaucoup plus complexe, car les pouvoirs du maire doivent poursuivre des buts légitimes liés à l'ordre public. Ils sont aussi limités par des impératifs que l'Education Nationale peut lui rappeler en s'appuyant sur les souhaits des parents et enseignants. Un certain réalisme politique conforte par ailleurs l'interprétation des textes.
Une exégèse reposant sur de nombreux textes
En vertu des dispositions de l’article L. 521-3 du code de l’éducation, « le maire peut, après avis de l’autorité scolaire responsable, modifier les heures d’entrée et de sortie des établissements d’enseignement en raison des circonstances locales ».
Certes, cette dernière notion de "circonstances locales" n’est pas définie clairement par les textes, elle doit s’entendre des circonstances de temps et de lieu qui justifient l’instauration de mesures particulières (Chronique de la LIJ n°96, juin 2005). L’article L.521-3 du code de l’éducation n'a fait que codifier l’article 27 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements et les régions de l’Etat. Les heures d’entrée et de sortie des établissements scolaires sont fixées par le règlement départemental type établi par l’inspecteur d’académie directeur des services départementaux de l’éducation nationale. Le pouvoir de dérogation à la règle départementale prévue par la loi et précisée par la circulaire du 13 novembre 1983 (JO du 27 novembre 1983) soumet la possibilité ainsi offerte au maire à un certain nombre de conditions. Ainsi, le Directeur Académique doit émettre un avis après que le (les) conseil(s) d’école a (ont) été consulté(s).
On aurait pu imaginer qu'avec les progrès de la décentralisation, ce pouvoir des maires eut une interprétation large. Il n'en est rien, car en réalité depuis de nombreuses années déjà, il y a eu une recentralisation des pouvoirs. Par exemple, lorsque fut supprimée la célèbre et très populaire "journée du maire" en 1990...
Autre illustration contemporaine de la recentralisation, depuis la loi de réforme des rythmes scolaires, une procédure nouvelle est créée pour permettre la mise en place des TAP dans laquelle c'est le DASEN qui "arrête". Cela veut dire qu'il a seul le pouvoir de décision à partir des propositions qui lui sont faites. Cependant, il est exact par ailleurs que les décisions prises par le directeur académique pour fixer les heures d'entrée et de sortie de chaque école se font, "sans préjudice du pouvoir de modification conféré au maire de la commune par les dispositions de l'article L. 521-3".
Il convient donc de déterminer la portée exacte de cet article L.521-3 du code de l'Education qui date, rappelons-le, de la loi de 1983.
Soulignons tout d'abord que le terme "pouvoir de modification" évoque implicitement un pouvoir marginal ne devant s'exercer qu'à titre d'exception par rapport à une règle établie. Il n'y a pas si longtemps, on ne variait pas les horaires des écoles années après années. Mais on ne peut en rester à cette première impression sans la confirmer par une exégèse approfondie, exégèse largement effectuée depuis 1983 par les services de l'Education Nationale, en l'absence d'une jurisprudence pour le moins très réduite. Et pour cause, un parent mécontent des horaires d'école aura toujours le choix de changer son enfant d'école plus rapidement que d'obtenir un jugement...
Néanmoins, les exemples donnés par les circulaires sont très éclairants. Il s'agit par le pouvoir municipal de modification d'horaires de pallier à des impératifs matériels importants contribuant aux commodités de vie dans l'espace public, soit ponctuellement pour un jour donné car il se tient un évènement important dans la commune, soit à toutes les périodes de l'année dans le même esprit de pallier à des contraintes fortes.
La circulaire du 13 novembre 1985 énonce : "Dans tous les cas, les modifications décidées par le maire de la commune concernant les heures d'entrée et de sortie des établissements scolaires doivent être compatibles avec un certain nombre d'impératifs, notamment en matière de transports scolaires, de restauration, d'harmonisation des horaires entre écoles proches. En particulier, il est nécessaire que le maire, avant toute décision, recueille l'avis de l'autorité responsable en matière de transports scolaires."
Circulaire n° 91-124 du 06/06/91 modifiée en 1992 et 1994 rappelle (…) 2.3.3 Pouvoirs du maire. En application de l’article 27 de la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et dans les conditions fixées par la circulaire du 13 novembre 1985, le maire peut modifier les heures d’entrée et de sortie fixées par l’inspecteur d’académie pour prendre en compte des circonstances locales. Cette décision ne peut avoir pour effet de modifier la durée de la semaine scolaire ni l’équilibre des rythmes scolaires des élèves.
Les circonstances locales peuvent tenir à des défilés, des fêtes locales ou à l’organisation du transport scolaire. (Source http://www.adm76.com/item_img/medias/documents/fiche-them-8.htm)
On notera utilement que les fêtes locales renvoient au pouvoir de police des maires en matière de foires et marchés. De même, l'organisation des transports participe à la police de la circulation en toute sécurité des enfants non pris en charge par leurs parents.
Selon la jurisprudence, le pouvoir du maire est en réalité lié à des impératifs d'ordre public
La seule fois où le Conseil d'Etat a eu à connaître de cette disposition, il était justement fait usage par un maire de son pouvoir ponctuellement, en raison d'une festivité locale très importante. Par arrêté, le maire de Vesoul avait décidé la fermeture de tous les établissements scolaires de la ville à l'occasion de la fête locale de la Sainte-Catherine. Or, la Haute juridiction administrative a jugé que le pouvoir de police était certes utilisable, mais les circonstances locales ne permettaient pas la mesure générale prise, celle-ci devant s'apprécier école par école selon qu'elle était effectivement concernée par les contraintes sécuritaires de la foire. Conseil d'Etat, 10 mars 1995, n°135563
Les pouvoirs du maire depuis la réforme des rythmes scolaires sont en réalité tout aussi encadrés que par le passé. La notion de circonstances locales renvoie toujours au pouvoir de police du maire.
Il résulte de l'esprit de la loi, éclairée par la jurisprudence relative à l'usage des pouvoirs de police, que un maire doit avoir des motifs légitimes sérieux pour imposer des horaires très variables qui impactent fortement la vie de l'école et des familles. Telle est selon moi la perturbation de finir un jour sur deux 90 mn plus tôt, ou de supprimer un après-midi de classe. Ainsi, des considérations liées seulement au confort de la gestion du service d'accueil périscolaire (recrutements plus aisés, emplois du temps plus faciles à organiser pour les équipes d'animation intervenants sur les différentes communes, légères économies financières induites), ne sont pas suffisantes pour tenir lieu de "circonstances locales" et faire contrepoids à l'esprit de la réforme, améliorer les rythmes de l'enseignement.
Le pouvoir réglementaire du maire en ce domaine, comme en bien d'autres, est inférieur au pouvoir réglementaire national. Par exemple, même en coproduction avec l'inspecteur d'académie, un maire ne peut pas obtenir le transfert des cours du samedi matin vers le mercredi matin en contradiction avec l'arrêté ministériel du 2 mai 1972 (Conseil d'Etat, 27 juillet 1990, Association pour une nouvelle organisation du temps scolaire, n°100792 et 100920).
C'est pourquoi une proposition de loi émanant de sénateurs a été déposée en 2013 visant à accroître les pouvoirs du maire.
•Texte n° 116 (2013-2014) de MM. Jean-Claude GAUDIN, Jean-Claude CARLE et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 4 novembre 2013
"L'article 1er de la proposition de loi renforce les pouvoirs du maire, jusque-là purement dérogatoires aux décisions d'organisation de la journée et de la semaine scolaire prises par le DASEN. Les décisions du maire afin de modifier les heures d'entrée et de sortie ne peuvent actuellement avoir qu'un caractère ponctuel, sans modification durable de l'équilibre des rythmes scolaires. (CE, 10 mars 1995, commune de Vesoul). Elles constituent pour ainsi dire une extension de ses pouvoirs de police en vue d'assurer l'ordre public dans les établissements scolaires."
Ayant donné lieu à un débat qui rejeta rapidement la proposition, le sénateur avoua son dépit : M. Jean-Claude Carle, rapporteur. - je dirai que j'essaie d'être constant. J'ai dit et j'ai écrit que la semaine de 4 jours et demi était plus adaptée et je ne change pas d'avis. (...)
À Mme Dominique Gillot, je répondrai que je ne remets pas en cause la loi de refondation de l'école. Je relève juste qu'aujourd'hui les DASEN dirigent tout et que je préfèrerais que ce soit les maires.
Le DASEN décide en privilégiant l'enseignement
Parlons à présent de ses DASEN, ce qui va nous permettre de répondre pleinement à la question posée en titre. Les directeurs académiques n'ont peut-être pas tous la même approche par rapport aux demandes d'aménagement des horaires que font les élus. Et ma foi, en l'absence de contentieux devant les tribunaux, certains maires peuvent peut-être imposer des vues peu conformes aux textes.
Mais, en principe le DASEN doit avoir à l'esprit en premier lieu l'intérêt des rythmes d'apprentissage, surtout dans un contexte où l'école française est tant décriée en raison de ses résultats de moins en moins bons. Les fonctionnaires de l'EN n'ont d'ailleurs pas très bien digéré le décret Hamon permettant de regrouper les TAP sur une demie journée. Le compte-rendu du conseil d'école qui s'est tenu à Ecommoy le 2 juin en atteste...
On trouve des positions très claires des syndicats enseignants, comme ici dans le Vaucluse : "Le DASEN a précisé qu’en cas de désaccord entre la mairie et le conseil d’école sur l’organisation de la journée, c’est l’avis des « pédagogues » qui primera (car l’organisation des temps scolaires est éminament pédagogique). Ainsi, le DASEN nous a affirmé vouloir prendre prioritairement en compte l’avis des conseils d’école et des IEN. Il a précisé de plus que les « dérives des maires seront contrôlées ».
Il est certain par ailleurs que les DASEN veulent éviter les situations "insurrectionnelles". C'est ainsi que les avis des conseils d'école, certes consultatifs, sont très importants pour eux. Une directrice d'école a rappelé d'ailleurs une circulaire qui indique qu'en cas de désaccord net entre les conseils d'école et les élus, c'est le statu quo qui est prolongé.
Le poids politique des parents et des enseignants ou ne pas jeter les maires en pâture
Dans l'exécution de cette réforme des rythmes scolaires, il est regrettable que l'Etat n'ait pas assumé jusqu'au bout son projet en imposant par exemple de revenir au système antérieur à cette mauvaise idée qu'un ministre a eu en 2008 d'organiser l'école sur quatre jours. Beaucoup de communes auraient conservé sans atermoiements possibles leur samedi matin. Le mercredi serait resté une vraie bonne coupure pour les enfants. Mais voilà, en laissant la liberté aux communes, sous l'influence déterminante des parents électeurs, seules 17% d'entre elles sont revenues de leur propre chef à la classe le samedi.
Pour les autres communes, la grande majorité, la mise en œuvre des TAP est un casse-tête parce que les parents et les enseignants sentent bien que la fatigue est là, et chacun a peur de faire le mauvais choix d'organisation qui va encore aggraver cette fatigue.
S'imaginer qu'un maire n'a qu'à imposer les choses dans ces conditions, c'est omettre qu'un maire, normalement, s'appuie sur une majorité de son conseil, travaille avec une équipe, à maintenir et développer la confiance. Ce n'est certainement pas après avoir mis en place une démocratie participative à Ecommoy (Conseil des sages, Conseil jeune etc), ni après avoir défendu à maintes reprises la cause des enfants, que je vais me renier à présent.
Si l'intercommunalité veut faire prévaloir ses vues, alors qu'elle ne passe pas par les maires, car il suffit qu'il s'en trouve quelques uns qui prennent plus en compte leurs administrés pour que la machine s'enraye.
Pour les autres communes, la grande majorité, la mise en œuvre des TAP est un casse-tête parce que les parents et les enseignants sentent bien que la fatigue est là, et chacun a peur de faire le mauvais choix d'organisation qui va encore aggraver cette fatigue.
S'imaginer qu'un maire n'a qu'à imposer les choses dans ces conditions, c'est omettre qu'un maire, normalement, s'appuie sur une majorité de son conseil, travaille avec une équipe, à maintenir et développer la confiance. Ce n'est certainement pas après avoir mis en place une démocratie participative à Ecommoy (Conseil des sages, Conseil jeune etc), ni après avoir défendu à maintes reprises la cause des enfants, que je vais me renier à présent.
Si l'intercommunalité veut faire prévaloir ses vues, alors qu'elle ne passe pas par les maires, car il suffit qu'il s'en trouve quelques uns qui prennent plus en compte leurs administrés pour que la machine s'enraye.
Si une voie pouvait sans doute éviter les écueils, ce serait que ce soit le Pdt de l'EPCI qui demande la modification en soumettant le projet de tout son territoire au DASEN. Et alors il n'y aurait pas ce problème des maires mis en porte à faux, d'ailleurs inutilement, puisque ce ne sont pas eux qui ont le pouvoir de décision, au terme de ma démonstration. Bien qu'il ne soit pas d'une grande clarté, le décret pourrait le permettre même si l'EPCI n'a pas la compétence scolaire mais seulement périscolaire.
Art. D. 521-11 code Education. - la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale intéressé peut transmettre un projet d'organisation de la semaine scolaire au directeur académique des services de l'éducation nationale, après avis de l'inspecteur de l'éducation nationale chargé de la circonscription d'enseignement du premier degré. « Le directeur académique des services de l'éducation nationale agissant par délégation du recteur d'académie arrête l'organisation de la semaine scolaire de chaque école du département dont il a la charge, après examen des projets d'organisation qui lui ont été transmis et après avis du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunal intéressé. Cet avis est réputé acquis en l'absence de notification au directeur académique des services de l'éducation nationale d'un avis exprès dans un délai de quinze jours à compter de la saisine.
La notion d’EPCI intéressé ne désigne pas forcément la collectivité juridiquement compétente pour les affaires scolaires. , à mon sens, ce pourrait être aussi l’EPCI compétent en matière de périscolaire. Peut-être les auteurs du décret ont-ils créé ici une souplesse utile...
Sébastien GOUHIER
Maire
Mais avant tout...
Maître de conférences en droit public
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