vendredi 2 novembre 2018

Compteurs Linky d'EDF, autorités municipales et droits

Il ne s'écoule pas de mois sans que les mairies de France ne reçoivent par messagerie électronique des messages de propagande anti compteur connecté dit "Linky" émanant d'un collectif ou plus exactement d'une personne en croisade contre EDF, appelée ... Peu importe en fait, ce Monsieur est déjà assez décrébilisé si l'on en croit des sites Internet sérieux. S'il est tout à fait utile et normal dans notre système démocratique qu'existe des lanceurs d'alerte, en revanche nous constatons dans ce cas précis l'utilisation d'arguments fallacieux sous couvert de mauvaises interprétations juridiques. Quelques repères s'imposent. Le déploiement des compteurs intelligents est un engagement international de la République française pour parvenir à la réduction des consommations d'énergie, il n'appartient pas aux autorités locales de s'y opposer, d'autant plus que les mesures démontrent un impact inférieur à celui d'un téléviseur...


Rappel Mars 2010 – Mars 2011 : expérimentation dans les régions de Tours et de Lyon avec 300 000 compteurs installés, puis 28 septembre 2011 : annonce de la généralisation des compteurs communicants avec le déploiement de 36 millions de compteurs prévu entre 2016 et 2021

Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique a réuni le 26 juin 2018 l’ensemble des acteurs (associations de consommateurs, distributeurs et producteurs d’énergies, la commission de régulation de l’énergie (CRE)) pour faire un point sur le compteur Linky. Concernant les effets sanitaires, plusieurs études ont été réalisées par l’ANFR et l’ANSES et montrent que les niveaux d’exposition sont très inférieurs aux normes réglementaires.

Des campagnes de mesures de l'exposition aux ondes électromagnétiques ont été menées en 2016 et 2017 par l'INERIS, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) et l'agence nationale des fréquences (ANFR) sur des compteurs en laboratoire et installés dans des logements. Ces mesures ont montré que les compteurs produisent un champ électromagnétique faible et très inférieur aux valeurs limites réglementaires. De plus, le niveau d'exposition décroît très rapidement avec la distance au compteur ou le long du circuit électrique à l'intérieur d'une habitation.
Les mesures en laboratoire réalisées par l’ANFR montrent que le champ magnétique à 30 cm du compteur Linky est du même ordre de grandeur que celui d’un chargeur d’ordinateur et près de trois fois inférieur à celui d’un écran TV. Le champ électrique à 30 cm du compteur Linky est similaire à celui des anciens compteurs, comparable à celui d’un écran TV et dix fois moindre que celui d’une lampe fluo compacte.
En juin 2017, l'Anses a rendu public son rapport d'expertise sur l'exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les "compteurs communicants". Les principaux enseignements de cet avis sont :
•   que les niveaux d’exposition générés par les compteurs communicants sont très faibles par rapport aux valeurs réglementaires, et sont comparables à ceux émis par les dispositifs électriques ou électroniques domestiques
(écrans TV, perceuse électrique sans fil...) ;
•    qu’il est peu probable que l’exposition aux ondes émises puisse engendrer des effets sanitaires à court ou long terme.

Nicolas Hulot a néanmoins demandé à ENEDIS d’être particulièrement attentif aux personnes se prévalant d’électrosensibilité. La réunion a permis de rappeler que depuis le 6 juin le dispositif national de surveillance et de mesure des ondes géré par l'ANFR a évolué et permet dorénavant à tout citoyen de faire gratuitement mesurer son exposition associée à des objets communicants fixes comme le compteur Linky. L’ANSES poursuivra ses études sur les évolutions à venir du compteur afin de continuer à mesurer ses impacts sur les utilisateurs.


Les communes ne peuvent s'y opposer, quelques abonnés le peuvent à leur détriment.

Les tribunaux ont jugé que :

- les pouvoirs de police municipale du maire ne peuvent réglementer à la place de l'Etat (Tribunal administratif de Montreuil, 7 décembre 2017, ville de St-Denis) : s’il appartient au maire de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publics, « celui-ci ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs ainsi confiés par la loi aux autorités de l’État et au gestionnaire national de réseau de distribution d’électricité, adopter sur le territoire de la commune une réglementation portant sur l’implantation des compteurs Linky".

- les conseils municipaux n'ont pas le droit de prendre des décisions dans ce domaine car, même si les collectivités locales sont propriétaires des compteurs (Article L.322-4 du code de l'Energie), c'est Enedis qui est délégataire du service public. Enedis assume seule la responsabilité des conséquences de sa gestion. Puisque les communes ne sont pas décisionnaires du changement des compteurs, elles n'encourent aucune responsabilité. Dans la Sarthe, il se trouve au surplus que les communes ont toutes confié la compétence électrification au Département depuis plus de 80 ans et que la loi a confirmé cette compétence possible pour les départements (Art. L.2224-31 CGCT).

- les conseils municipaux n'ont pas le droit de s'immiscer dans les procédures judiciaires entre leurs habitants et les gestionnaires de compteurs (Conseil d'Etat 11 juillet 2018, commune de Troyon).

- les abonnés peuvent refuser l'accès à leur domicile pour le changement de leur compteur mais se mettent en tort contractuellement : le tribunal de Blagnac l'a rappelé le 11 septembre 2018, en validant certes un arrêté municipal mais qui n'apportait rien de nouveau à savoir la possibilité de refuser l’accès à son logement. Pour ceux dont le compteur est installé à l’intérieur de leur maison d’habitation ou dans leur jardin, il est donc concrètement possible de « refuser » la pose du compteur Linky. Mais si le compteur est situé sur la voie publique, Enedis peut le changer sans l'accord de l'occupant du domicile desservi.
En revanche et surtout, le juge n’a pas validé la possibilité de refuser la pose d’un compteur Linky. En effet, les particuliers signent avec leur fournisseur d’électricité un contrat dans lequel ils s’engagent à laisser l’accès au compteur (qui ne leur appartient pas) pour des raisons de sécurité, de relève ou de changement de compteur… Si un particulier refuse le changement du compteur dans son domicile, Enedis pourra donc envisager de facturer le relevé du compteur voire de saisir la justice… Certains particuliers ont par ailleurs tenté de saisir les juridictions civiles pour s’opposer à la pose ou obtenir le retrait du compteur Linky. Ils ont notamment invoqué les risques sur la santé en rapport avec les ondes transmises. Mais sans succès à ce jour…

On a une idée depuis quelques jours des conséquences financières pour ceux qui refuseront le compteur linky, d'après des paroles de techniciens corroborées par des réflexions des autorités indépendantes chargées de l'Energie : «J’ai refusé la pose d’un compteur Linky chez moi, pour la simple raison que mon ancien compteur fonctionne très bien. Le technicien de la société sous-traitante m’a dit que j’aurais alors à payer 150 euros deux fois par an pour son déplacement pour lire le compteur, et que de toute façon à partir de 2020 la pose sera obligatoire pour tout le monde, et qu’à ce moment-là, la pose sera payante et coûtera "dans les 380 euros".
La CRE, chargée de fixer les prix des différentes prestations des réseaux de gaz et d’électricité a entamé une réflexion sur la facturation des relèves à pied après la fin du déploiement du dispositif Linky. Dans une délibération du 3 mars 2016 «portant sur la tarification des prestations annexes», elle considère «justifié que les consommateurs qui n’ont pas laissé l’accès au compteur se voient facturer une prestation de relève à pied résiduelle, compensant les surcoûts occasionnés, mais que cette prestation ne peut être mise en place à ce stade, à défaut de connaître l’ampleur de ces surcoûts». «Le maintien d’une relève à pied pour quelques clients isolés représente en effet un coût unitaire beaucoup plus élevé que celui de la relève à pied en masse pratiquée aujourd’hui".

Sébastien Gouhier
Maire et professeur de droit public.

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