Voici le premier volet de mon analyse concernant les conséquences de la loi NOTRe. Je commence par les Départements, car le sort qui leur est fait est une clef majeure de compréhension des effets de la réforme. Selon moi, les Départements ont échappé à la suppression, mais ils ne pèseront bientôt pas plus qu'un syndicat intercommunal.
On se souvient que, lors de la présentation du projet initial, le Premier ministre avait annoncé vouloir supprimer les départements. Cela justifiait de structurer les territoires autour des intercommunalités grandes et puissantes (20 000 habitants), impliquant alors l'accélération de la réduction des compétences des communes. Il y avait là une cohérence et une volonté réformatrice sans précédent en France sous la Vème République. La cohérence eut sans doute été plus grande encore si la gauche n'avait pas supprimé à son arrivée au pouvoir le Conseiller Territorial, que la droite avait créé afin justement elle aussi de préparer la suppression des départements...
Mais, il y a eu en parallèle la loi sur la réduction du nombre des Régions. Certes, cette réduction du nombre des Régions était souhaitée par les spécialistes de tous bords depuis la Commission Balladur, qui en avait envisagé 15 à la place de 22 en métropole. Et sur ce point, l'Etat a peut être été emporté par son enthousiasme, car au final, il n'y aura plus que 13 Régions en 2016. Pourquoi avoir porté l'effort de réduction aussi loin ? Pour différentes raisons sans doute... Les journalistes ont glosé sur la volonté du Président de "reprendre la main" pour se montrer énergique... Je crois qu'il y a surtout les économies attendues pour l'Etat, nous y reviendrons dans un prochain billet.
En tout cas, à avoir découpé la France en trop grandes régions, il est devenu plus difficile d'imposer dans la foulée la suppression des départements, cet échelon apparaissant alors comme une proximité salvatrice... Enfin, le Gouvernement a compris qu'il ne pourrait pas obtenir la révision constitutionnelle nécessaire à la suppression des Départements. Dès lors, la loi du 7 août 2015 a procédé par petites touches pour transformer les Départements en une sorte de grande intercommunalité.
La perte de la clause de compétence générale.
Bien entendu, officiellement, personne n'osera dire que les Départements ne sont plus des collectivités territoriales (peut-être le Conseil Constitutionnel), parce que la loi n'a pas mis fin à la désignation des conseillers départementaux au suffrage universel direct. Et pourtant, il y a deux éléments qui caractérisent une collectivité territoriale par rapport à un simple établissement public de coopération intercollectivité. Le premier est certes l'élection au suffrage universel direct des membres de l'assemblée délibérante. Mais le second est la fameuse "clause de compétence générale", comme le rappelle d'ailleurs le site vie-publique.fr : "Afin de les distinguer des établissements publics, y compris ceux gérant les différentes coopérations locales, les collectivités territoriales doivent bénéficier d’une compétence générale leur permettant de prendre en charge toute affaire d’intérêt local".
Or, avec la nouvelle loi, tous les Départements perdent la clause générale de compétence. Ils n'ont plus le droit d'inventer des initiatives qui n'auraient pas été prévues dans leurs compétences par les lois. Ils se retrouvent ainsi dans la même situation qu'un simple EPCI, type communauté de communes, qui ne peut pas subventionner une activité qui n'est pas rattachable à une compétence de ses statuts. Les Départements ne peuvent plus décider de créer des services publics simplement au vu des besoins locaux. Ce qu'une simple petite commune peut encore faire, par exemple en aidant à l'installation de professionnels de santé, en créant une maison médicale, ou en subventionnant quasiment n'importe quelle association ou individu de son choix, sous condition que cela présente un intérêt local licite.
En perdant cette clause de compétence générale, le Département perd symboliquement son âme de collectivité territoriale. Mais, si de nombreuses lois continuent de lui assurer des compétences variées et effectives, juridiquement on peut encore défendre l'idée que le Conseil départemental reste une collectivité territoriale. En effet, pour reconnaître une collectivité territoriale, le Conseil Constitutionnel ne tire de la Constitution, que l'exigence que l'assemblée locale possède un certain nombre de compétences effectives pour exister en tant que Collectivité autonome. Or, de ce point de vue, on peut estimer que le Département n'est pas dans une situation confortable, car les lois récentes le dépouillent beaucoup de ses pouvoirs. Ainsi, on pourra défendre que, si le Conseil Régional perd lui aussi la clause de compétence générale avec la loi NOTRe, il bénéficie, à l'inverse du Département, de compétences nouvelles, et ne risque pas de se voir comparé à un simple établissement public.
Pour terminer, je ne peux m'empêcher d'ironiser sur l'argument utilisé pour refuser l'élection au suffrage universel direct sans fléchage des membres des conseils communautaires, consistant à dire que les Communautés ne sont pas des collectivités territoriales. En effet, on devra alors considérer que les Départements n'étant bientôt rien de plus qu'un EPCI, ne devraient plus voir leurs membres élus au suffrage universel direct. Si l'on suit la logique des opposants au suffrage sans fléchage des conseillers communautaires, les futurs conseillers départementaux devront sans doute un jour être issus des conseils des communautés ...
Pour terminer, je ne peux m'empêcher d'ironiser sur l'argument utilisé pour refuser l'élection au suffrage universel direct sans fléchage des membres des conseils communautaires, consistant à dire que les Communautés ne sont pas des collectivités territoriales. En effet, on devra alors considérer que les Départements n'étant bientôt rien de plus qu'un EPCI, ne devraient plus voir leurs membres élus au suffrage universel direct. Si l'on suit la logique des opposants au suffrage sans fléchage des conseillers communautaires, les futurs conseillers départementaux devront sans doute un jour être issus des conseils des communautés ...
La perte de compétences importantes
Ce que chacun verra de manière plus évidente, c'est la perte de certaines compétences stratégiques subie par les départements.
En matière de développement économique, le CD est dépossédé au profit des Régions. Cela signifie que les agences départementales qui faisaient de la promotion économique vont passer sous tutelle régionale... Le Département ne pourra plus subventionner par exemple des zones d'activités. Y aurait-il eu dans ce domaine des erreurs commises par les départements pour avantager certains territoires sans suffisamment de réflexion ou d'équité ? En tout cas, cela ne se produira plus, car les Régions auront à établir des Schémas d'aménagement âprement concertés avec l'Etat.
En matière de développement économique, le CD est dépossédé au profit des Régions. Cela signifie que les agences départementales qui faisaient de la promotion économique vont passer sous tutelle régionale... Le Département ne pourra plus subventionner par exemple des zones d'activités. Y aurait-il eu dans ce domaine des erreurs commises par les départements pour avantager certains territoires sans suffisamment de réflexion ou d'équité ? En tout cas, cela ne se produira plus, car les Régions auront à établir des Schémas d'aménagement âprement concertés avec l'Etat.
En matière de transport, les Départements perdent leur compétence d'autorité organisatrice des transports scolaires, de même en matière de transports interurbains. Nombre de commentateurs ont fait remarquer qu'il y avait là une incohérence de la loi NOTRe, puisque les défenseurs des Départements ont réussi à leur conserver la compétence en matière de collèges alors que le projet initial entendait grouper cette compétence avec celle des Lycées au profit des Régions. Le législateur aurait été mieux inspiré de ne pas séparer la compétence de gestion des collèges et celle du transport des collégiens. Oui mais voilà, justement, ce compromis batard pourrait bien être, selon moi, la confirmation que l'on veut la peau des Départements, quitte à les rendre moins efficaces, et à s'y prendre en plusieurs temps...
En matière de tourisme, le Département perd son rôle prédominant. En effet, d'une part la loi nouvelle proclame que cette compétence est une compétence partagée entre les collectivités, mais d'autre part surtout, elle fait de la promotion du tourisme une compétence intercommunale et non plus communale. On peut donc présager que des initiatives nombreuses vont être prises par les intercommunalités désormais plus puissantes, initiatives qui n'existaient pas lorsque la compétence était communale.
La perte d'influence dans des pans entiers du territoire français
En réalité, la disparition des départements a déjà commencé. On se souvient des percées de la loi du 16 décembre 2010 qui facilitait la fusion des collectivités régionales et départementales, et départementales entre elles. Seulement, on se souvient aussi de l'échec des rapprochements initiés (Alsace en 2013). Mais ça c'était avant ! Avant les baisses de dotation, et avant la pression populaire qui attend des économies dans le secteur public... Aujourd'hui, les idées de rapprochements semblent remises plus que jamais à l'ordre du jour (Haute-Savoie et Savoie; Drôme et Ardèche), et même en Alsace. Et le Maine chers lecteurs, Sarthe et Mayenne réunis pour peser en Pays de la Loire parce que nous sommes éloignés de Nantes, qu'en pensez-vous ?
Plus fort encore, dans les territoires d'Outre-mer, les Départements et les Régions sont de plus en plus fusionnés en une seule entité. La loi NOTRep appliquera ce même modèle à la Corse, île qui n'aura donc plus de Conseil départemental !
La loi d'affirmation des Métropoles du 27 janvier 2014, a elle aussi donné un grand coup de vieux aux départements. Pour mémoire, le législateur a décidé de la transformation de toutes les grandes aires urbaines de France en Métropoles, nouveau statut voté dès 2010, davantage intégré que par exemple avec les communautés d'agglomération ou les communautés urbaines. A l'intérieur de ces périmètres, les Métropoles pourront ou devront assumer les compétences auparavant attribuées au Département. A terme, c'est la suppression des départements dans les zones très densément peuplées (400 000 habitants dans une aire urbaine de 650 000 habitants), parce qu'il y des doublons inutiles et que les grandes villes ont les moyens d'assurer les compétences des conseils départementaux (10 Métropoles créées au 1er janvier 2015), et d'autres le seront au 1er janvier 2016, avec des statuts plus ou moins spécifiques. Les Conseils départementaux ne révèlent alors leur utilité que dans les territoires plutôt ruraux, ce qui confirme qu'ils tiennent le rôle désormais d'un syndicat intercommunal, ne détenant plus aucune parcelle de puissance publique... Dans quelques années, la moitié des français ne sera déjà plus concernée par la notion d'assemblée départementale. Il serait alors aisé de faire passer la suppression de cet échelon.
La perte prochaine d'une part d'autonomie financière
Le petit coup derrière la nuque, pour finir d'estourbir le bestiau, viendra certainement avec la loi de finances pour 2016, ou 2017, car il est assez logiquement prévu que, n'exerçant plus la compétence développement économique, les Conseils départementaux vont perdre la fiscalité économique (perçues sur les entreprises) au profit du Conseil Régional...
De nombreuses hypothèses de remplacement des Conseils départementaux quant à l'exercice des compétences qu'il leur reste sont déjà dans les tiroirs, et il ne fait guère de doute, que la droite ira elle aussi dans cette voie le moment venu, car d'ici là, les intercommunalités puissantes telles que voulues par la loi NOTRep provoqueront à nouveau le débat sur le maintien des départements.
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